Régine ESSENEME, Magistrate, vice-présidente du Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD), réélue au Comité - Archives Ministère des relations Extérieures (MINREX)

Réélection de Régine ESSENEME au CERD : une voix forte du Cameroun à l’ONU et un silence intérieur face à la montée des tensions et inégalités

Magistrate hors hiérarchie, la camerounaise Régine ESSENEME a été réélue le 04 juin 2025 à New York, au Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) pour un nouveau mandat s’étendant de 2026 à 2030. En poste depuis 2022 et actuelle vice-présidente du Comité, cette réélection consacre une fois de plus son expertise et l’estime dont elle jouit au sein des instances onusiennes. Mais cette victoire diplomatique, aussi éclatante soit-elle (161 voix), interroge sur ce que peut peser cette voix camerounaise à l’ONU face au mutisme prolongé des autorités nationales devant la montée des discriminations et du tribalisme dans le pays.

Régine ESSENEME, Magistrate, vice-présidente du Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD), réélue au Comité – Archives Ministère des relations Extérieures (MINREX)

Reconnaissance internationale saluée à son mérite

La reconduction de Madame ESSENEME est avant tout un succès diplomatique pour le Cameroun. Décrocher 161 voix dans un système multilatéral souvent marqué par les rivalités d’influence, est le signe d’un appui massif de la communauté internationale.

C’est aussi une confirmation des compétences de cette magistrate chevronnée, devenue en quelques années une figure respectée de la lutte contre le racisme et les inégalités raciales au niveau mondial.

Ce succès rejaillit logiquement sur l’image du Cameroun, qui gagne en visibilité dans les instances internationales. Il démontre aussi que des profils féminins issus d’Afrique subsaharienne peuvent s’imposer dans les espaces de décision globale.

Contexte national en dissonance

Toutefois, cette reconnaissance internationale entre en disgrâce avec la situation intérieure du Cameroun. Sur le terrain, les discriminations ethniques persistent, et parfois s’intensifient.

À l’approche de l’élection présidentielle prévue pour octobre 2025, le climat politique est devenu un terreau fertile pour la résurgence du tribalisme, des discours haineux et des clivages identitaires exacerbés, notamment sur les réseaux sociaux.

Dans les sphères politiques comme dans l’espace numérique, l’instrumentalisation des appartenances communautaires est désormais une arme électorale.

Face à cela, le silence de l’État reste assourdissant. Les instruments juridiques existent, mais leur application demeure lacunaire. Les discours officiels dénoncent le tribalisme et les autres formes d’inégalités ; mais peu d’actions concrètes sont engagées pour endiguer leur propagation.

Que peut cette réélection pour le Cameroun ?

La question qui se pose engage l’impact réel de cette confiance renouvelée sur la situation domestique. Au-delà du simple symbole, peut-elle influer sur les politiques nationales ?

C’est théoriquement possible. Si Madame ESSENEME choisit par exemple de mobiliser sa position au CERD pour mettre en lumière la situation camerounaise et encourager des recommandations ciblées envers son propre pays, elle deviendrait un relais stratégique entre les mécanismes internationaux et les réformes nationales. Le Comité qui, peut exercer une forme de pression morale et institutionnelle sur les États membres en leur adressant des observations, des critiques ou des demandes de rapport plus rigoureux, aurait ainsi un impact dans la situation camerounaise.

Dans la pratique cependant, tout dépendra de la volonté politique de Yaoundé de s’ouvrir à ces dynamiques. L’influence de Madame ESSENEME ne pourra s’exercer efficacement qu’avec un minimum de coopération étatique. Elle peut par exemple initier des ponts entre institutions internationales, société civile et autorités nationales, mais ces dernières devront accepter de franchir ces ponts.

Opportunité de réorientation du débat public

Loin des mécanismes formels, cette réélection est une importante opportunité pour réinscrire la lutte contre les discriminations et les inégalités dans le débat public au Cameroun.

Ce discours peut renforcer la légitimité des ONG et activistes qui militent pour une société plus inclusive dans une société où tout n’est pas permit et parler de certaines questions expose à des risques de toute nature.

En incarnant un exemple de leadership féminin et engagé à l’international, la magistrate ESSENEME peut ainsi inspirer une nouvelle génération de juristes, magistrats et intellectuels prêts à remettre la question de la cohésion nationale au cœur des priorités.

Certes, le Cameroun possède une voix forte dans un organe stratégique de l’ONU. Mais cette voix résonne dans un pays encore sourd aux réalités de ses propres fractures internes. La réélection de Régine ESSENEME n’aura de portée historique que si elle devient le catalyseur d’un changement de posture à Yaoundé. Un changement qui verrait enfin l’État assumer pleinement son rôle dans la lutte contre toutes les formes de discrimination.

Par Yves Modeste Ngue

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