Kemi Seba au Tchad : réalignement stratégique ou recul progressif de la Françafrique ?

Kemi Seba – Archives Kemi Seba

Figure controversée, connu pour ses positions radicalement anti-occidentales et anti-franc CFA, le président de l’ONG Urgences panafricanistes, Kémi Seba, a bénéficié des honneurs à la dimension d’un chef d’Etat. Service de sécurité imposant, hébergement dans un hôtel d’État, 4×4 blindés, et surtout, mise à disposition de la salle de conférence du ministère des affaires étrangères pour s’exprimer. Il y avait du tout pour provoquer une onde de choc sur le plan politique et diplomatique.

Officiellement, N’Djamena nie toute implication directe même si les observations laissent entrevoir un soutien tacite à un discours qui gagne du terrain auprès de la jeunesse surtout dans un contexte régional où le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont déjà tourné le dos à Paris. La présence remarquée de Kemi Seba, peu après le démantèlement des troupes françaises au Tchad, fait penser à un réalignement stratégique. La question stratégique qui se cache derrière ce séjour apparemment anodin est de savoir si le Tchad est entrain de réviser son positionnement vis-à-vis de la France et, plus largement, de l’Occident. Sommes-nous dans la continuité d’un virage diplomatique progressif ?

Les autorités tchadiennes tentent de minimiser l’affaire, affirmant que l’événement a été organisé par la branche locale de l’ONG panafricaine de Seba. Toutefois, pour de nombreux observateurs, l’accès facilité aux ressources officielles et l’absence de désaveu public des autorités trahissent une forme de caution implicite.

Kemi Seba en Visite au Tchad. Crédit photo – Rimteta Ngarndinon

Le message de Kemi Seba centré sur l’émancipation africaine, la fin du néocolonialisme et le rejet du franc CFA, séduit une partie croissante de la population et ses prises de position pèsent dans le débat public. Au-delà donc du symbole, cette visite illustre la montée en puissance du discours souverainiste sur le continent, et au Tchad en particulier. Une certaine quête de dignité, d’indépendance réelle et de leadership africain assumé.

En accueillant Kemi Seba volontairement ou non, le Tchad passe un message, mieux un signal à ses partenaires. Il y a au minimum, une manifestation d’ouverture à d’autres alliances, peut-être un rééquilibrage stratégique vers une Afrique de l’AES (Burkina, Mali, Niger), où le discours de rupture est désormais officiel.

Loin donc d’un simple épisode médiatique, cette visite témoigne une mutation profonde des équilibres diplomatiques africains et d’un Tchad en quête de redéfinition de sa place dans le jeu géopolitique. Elle met surtout aussi en lumière, l’ambiguïté du Tchad actuel qui, officiellement, est aligné sur des principes de coopération, mais de plus en plus manifeste sa sensibilité aux discours de rupture.

Par YMN