Dr Sennen HOUNTON, Directeur Régional de l'UNFPA pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre.

Diplomatie sanitaire : la sage-femme comme ambassadrice des droits humains malgré les crises et autres défis en Afrique

En vue de préserver la santé maternelle, néonatale, sexuelle et génésique, y compris le planning familial, et de répondre aux violences sexuelles et sexistes qui augmentent en contexte de crise, la sage-femme se déploie parfois jusqu’ au péril de sa vie y compris dans les zones vulnérables pour secourir des femmes et des filles tout au long de leur grossesse, leur l’accouchement et même pendant la période postnatale.

Dr Sennen HOUNTON, Directeur Régional de l’UNFPA pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.

Chaque 05 mai et ce, depuis 2009, un hommage est rendu aux sage-femmes dans le monde. En Afrique particulièrement, cette journée permet aux administrations publiques en charge de la santé des populations, aux associations et aux partenaires techniques et financiers installés dans le continent ou hors de ses frontières, de dresser le bilan sur les avancées des conditions de vie et de travail des sage-femmes qui sont au chevet des femmes enceintes et des filles. Le but est de lutter contre la mortalité maternelle et néonatale en dépit de multiples crises humanitaire, sécuritaire et financière qui sévissent au sein des pays africains.

Le thème de l’édition 2025, « Les sage-femmes : indispensables en toutes circonstances », vient une fois de plus mettre à nu ces différentes crises qui affectent la profession en Afrique de l’Ouest et du Centre, où les urgences humanitaires, les conflits, les déplacements liés au climat et la faiblesse chronique des systèmes de santé affectent gravement les femmes et les filles causant ainsi de nombreux décès.

Décès élevés et manque criard du personnel

« Les chiffres sont alarmants : plus de 500 femmes meurent chaque jour dans des contextes fragiles à cause de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. Dans notre région, une femme meurt toutes les quatre minutes. Un nouveau-né décède toutes les 17 secondes. Une fille sur trois devient mère alors qu’elle est encore une enfant »,a déploré le Dr. Sennen Hounton, Directeur régional du Fonds des Nations unis pour la population (UNFPA) pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre (WCARO),lors d’un webinaire organisé à l’ocasion de la journée internationale des sage-femmes.

L’invité du réseau des médias africains pour la promotion de la santé et l’environnement (REMAPSEN),a également indiqué une carence en ressources humaines dans ce corps de métier. D’où la poursuite des plaidoyers en faveur d’un recrutement massif des sage-femmes dans le système sanitaire, mais surtout pour la mobilisation et le déploiement des sage-femmes humanitaires, désormais entravés par les coupes budgétaires a resonné dans plusieurs pays. Il ressort du dernier rapport sur L’État de la pratique de sage-femme de l’UNFPA que ce déficit en ressources humaines est estimé à 100 000, le nombre de sage-femmes supplémentaires nécessaires d’ici fin 2025, ne serait-ce que pour répondre à 90 % des besoins de santé essentiels avec moins de 10 sage-femmes pour 10 000 habitants bien en deçà des 44,5 recommandés par l’Organisation mondiale de la santé, (OMS).

Des pays comme le Tchad et le Niger, où la mortalité maternelle dépasse encore les 800 décès pour 100 000 naissances vivantes, connaissent des pénuries particulièrement critiques. Et ce sont les communautés rurales, pourtant les plus vulnérables, qui sont les moins bien desservies. Au Cameroun, l’UNFPA déploie des sage-femmes humanitaires depuis 2022 dans les régions en proie à l’insécurité des années durant notamment, le Nord-ouest, Sud-ouest, l’Extrême-Nord. Pour l’exercice 2025, parmi les 4️9 sages-femmes humanitaires prévus pour le déploiement, seules 17 femmes seront mobilisées et déployées, mettant ainsi en péril la vie de nombreuses mères et de leurs nouveau-nés. « Et pourtant, un investissement accru dans les sage-femmes permettrait d’éviter près des deux tiers de ces décès. Car les sages-femmes ne se contentent pas de mettre des enfants au monde ; elles sauvent des vies, dans des conditions souvent extrêmement difficiles », ajoute le Directeur régional de l’UNFPA.

L’antidote du Burkina-Faso

Dans le pays des hommes intègres, le Burkina Faso, la prévalence contraceptive est passée de 22,5% en 2015 à 31,5% en 2021, le ratio de mortalité maternelle est passée de 787 décès pour 100 000 naissances vivantes en 1990 à 198 décès pour 100 000 naissances vivantes en 2021 selon les chiffres officiels.

La mise en place de nombreuses stratégies a contribué à cette amélioration de la santé maternelle et infantile, selon les explications du ministre de la Santé au Burkina Faso, Dr Robert Jean Claude Kargougou. Au rang desdites stratégies, énumère-t-il, une volonté politique réaffirmée avec environ 12% du budget de l’Etat alloué au ministère de la Santé depuis au moins 10 ans ; ce niveau est maintenu malgré le contexte sécuritaire et humanitaire qui commande que par l’effet d’éviction, les ressources soient redirigées en priorité vers la défense et la reconquête du pays.

L’on note aussi l’augmentation significative du recrutement de sage-femmes/maïeuticiens pour leur déploiement à travers tout le pays (il y a de cela 20 ans lorsque j’étais encore médecin-chef de district, il y avait un seul maïeuticien pour 150,000 habitants ; maintenant dans le même district au moins une sage-femme/maïeuticien dans chacun de la trentaine de Centres de santé de 1er échelon du district.
Au niveau de l’hôpital de district il y a plus d’une dizaine de sage-femme/maïeuticien), le renforcement des capacités des écoles de formation, la mise en place du réseau SONU y compris la formation des médecins généralistes en chirurgie essentielle permettant aux femmes de bénéficier de césariennes même dans les zones les plus reculées, la gratuité des soins maternels et néonatals incluant la prise en charge de la fistule, la gratuité des soins aux mères et aux nouveau-nés, la mise en place de la surveillance hebdomadaire des décès maternels à travers le dispositif de surveillance des maladies et l’activation du CORUS sur le décès maternel avec la nomination d’un incident manager.

Suspension de l’USAID

Face à ces défis à relever dans le but de combler le déficit de sage-femmes et leur protéger en contexte de crise, prioriser leur déploiement dans les zones les plus vulnérables et garantir un financement adéquat et pérenne, l’UNFPA explique que les actions vont s’intensifier jusqu’en 2029 dans le renforcement de la formation, des cadres réglementaires et des modèles de soins dirigés par des sage-femmes au sein des gouvernements. Pour cela, des dispositifs d’urgence ont été activés dans 13 pays pour permettre une réponse rapide en situation de crise.

Ces avancées sont menacées. Car, en 2025, des réductions majeures de financements notamment, la fin du soutien financier venant de l’USAID (Agence des Etats-Unis pour le développement international) et la baisse générale de l’aide publique au développement ont entraîné la fermeture de services essentiels dans plusieurs pays. L’UNFPA rassure sur le redéploiement les fonds disponibles, mais l’organisation internationale insiste sur le fait que la « situation n’est pas tenable à long terme ».

En République centrafricaine, les salaires des sage-femmes ont été suspendus brutalement, mettant en péril les soins de milliers de femmes déplacées. Au Tchad, des centaines de postes de sage-femme et de travailleurs psychosociaux sont aujourd’hui menacés. Autant de risques qui menacent les droits des femmes et des filles.

Par Crescence Yolande AKABA, Cameroun

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