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BEAC : pour une institution qui impacte les économies de la CEMAC

Chronique éco – Djimadoum Mandekor, économiste, ancien directeur central à la BEAC. Auteur de « Pour sortir la BEAC de sa gouvernance défaillante. Promouvoir une banque centrale assurant l’intérêt général », éditions Jet d’encre (2024).

Djimadoum Mandekor, économiste, ancien directeur central à la BEAC. Auteur de « Pour sortir la BEAC de sa gouvernance défaillante. Promouvoir une banque centrale assurant l’intérêt général ».

La Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC), banque centrale commune aux pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) vient de se singulariser une fois de plus en médiatisant fortement son bénéfice record réalisé à la fin de l’année 2024. Cette publicité, plutôt inhabituelle dans le monde feutré des banques centrales, révèle en creux les objectifs réels de ses responsables et des membres de ses organes de supervision qui, de plus, s’attribuent une prime de bilan inimaginable sous d’autres cieux.

Au-delà des résultats financiers de la banque centrale

Institution publique, la BEAC est depuis des décennies, une structure surtout de régulation du système financier dans le cadre d’une mission de politique monétaire en étroite relation avec les politiques économiques des Etats. Sa fonction principale est celle de surveiller l’activité globale des établissements de crédit et autres institutions financières pour éviter l’inflation (hausse généralisée et durable des prix), et assurer la stabilité du secteur financier. Son résultat d’exploitation bénéfice ou perte n’est donc pas le principal critère d’évaluation de son efficacité.

Il est globalement admis aujourd’hui que l’institution ne finance pas directement les entreprises mais y intervient par l’intermédiaire des banques à travers essentiellement les avances. Cette évolution s’est largement imposée dans le monde au nom de la lutte contre l’inflation considérée comme très nocive pour les économies et les consommateurs.
Beaucoup de banques centrales s’abstiennent maintenant de financer directement les Etats et les entreprises, même quand ce n’est pas explicitement proscrit comme c’est le cas aux Etats Unis et en Angleterre. Cependant, elles avaient instauré des mesures dites non-conventionnelles pour stimuler le redressement des crédits aux entreprises pendant la crise financière entamée en 2008-2009. Plusieurs autres pays (Argentine, en Europe de l’Est et en Afrique) autorisent la banque centrale à prêter directement à l’Etat à des conditions fortement encadrées, entre autres par les constitutions nationales, les statuts des instituts d’émission et l’autonomie décisionnelle effective des dirigeants de ces derniers.

La BEAC n’a souscrit à l’arrêt du financement monétaire direct des Etats qu’en décembre 2016, alors qu’elle s’y était engagée pour 2009. Cette mesure n’a été prise que parce qu’elle était une conditionnalité du Fonds monétaire international (FMI) pour l’octroi de son appui financier aux Etats membres confrontés à l’effondrement de leurs avoirs extérieurs et au déficit budgétaire provoqués notamment par la chute des cours du pétrole. Elle n’a été inscrite dans les statuts de la BEAC qu’en novembre 2021.
Cependant, dans les pays peu développés semblables à ceux de la CEMAC, où le sous-emploi et la pauvreté sont endémiques, la limitation des interventions d’une banque centrale à l’application des seules règles strictes de gestion de la monnaie sont vues par certains économistes et analystes comme un déni des responsabilités de ses dirigeants dans la croissance des activités économiques et l’emploi.

Réforme du F CFA : un effet d’annonce

C’est pour faire face à ces critiques moins massives dans la CEMAC que dans la sous-région voisine de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), imputant la situation des pays de la Zone franc aux effets du Franc CFA, une monnaie rattachée à l’euro et à l’obligation de constituer des réserves de devises internationales gérées par le Trésor français qu’un comité composé de la Commission de la CEMAC et de la BEAC a été créé. Il a pour mission de proposer une évolution du Franc CFA tout en le maintenant comme « une monnaie commune stable et forte » malgré son impact notable sur le renchérissement des exportations de la zone. Toutefois, le comité annoncé dans le communiqué final du sommet des chefs d’Etat de la CEMAC du 28 novembre 2019 ne s’est pas encore manifesté par la production d’un quelconque document ; ce qui laisse croire qu’il ne constituait que le moyen d’enrayer la vague de contestation portée par les jeunes, les intellectuels et certains dirigeants d’entreprises.

Les réformes monétaires introduites dans les années 1990 et depuis 2015 n’ont véritablement pas induit le développement du secteur financier susceptible de dynamiser la croissance et la diversification économique. En attendant d’entreprendre la mutation foncière toujours espérée du Franc CFA, la BEAC devrait plus résolument concevoir et appliquer des dispositions permettant le financement plus aisé et moins coûteux des investissements. Les solutions employées ailleurs pour approfondir le secteur financier et développer l’inclusion financière en Afrique et dans d’autres régions devraient être adaptées et expérimentées tout en continuant à se préoccuper de la maîtrise de l’inflation et de la constitution d’un niveau approprié des avoirs en devises.

Djimadoum Mandekor, économiste, ancien directeur central à la BEAC. Auteur de « Pour sortir la BEAC de sa gouvernance défaillante. Promouvoir une banque centrale assurant l’intérêt général ».

Le développement toujours attendu du secteur financier

La décision du Comité de politique monétaire (CPM) de la BEAC du 24 mars 2025 ramenant son principal taux directeur, le taux d’intérêt des appels d’offres (TIAO), de 5 % à 4,5%, justifiée par des perspectives meilleures en 2025 en matière d’inflation, en dessous de 3 %, et de réserves de changes, 4,8 mois, vise sans doute aussi à doper la croissance, mais plus encore à réduire le coût de la dette publique des Etats membres. En effet, le système bancaire de la zone étant globalement sur liquide, cette mesure ne l’incitera pas à distribuer beaucoup de nouveaux crédits alors qu’il est, de surcroît, confronté à un niveau élevé de prêts à la clientèle non ou difficilement remboursés. Ainsi, en 2015-16, le TIAO fixé à 3,5% – 4% a été sans effet marquant sur la croissance économique.

La stabilité financière et le financement de l’économie ne peuvent être assurés avec le niveau élevé des prêts douteux et compromis des banques de la sous-région ; autour de 16,4 % en 2023 d’après la Banque Mondiale (15,3 % au Cameroun ; 16,4 % en RCA ; 17 % au Congo ; 7,6 % au Gabon ; 32 % en Guinée Equatoriale et 31,5 % au Tchad). Ce taux excessif de prêts en souffrance engendre un niveau élevé du coût moyen du crédit bancaire. Selon la BEAC, dans la CEMAC, il s’est établi à 9,70% au 2ème trimestre 2024, grâce au volume des prêts aux grandes entreprises. Par catégorie de clientèle, ce taux s’élève notamment à 16,24 % pour les particuliers, 10,41 % pour les petites et moyennes entreprises, 8,62 % pour les grandes.
Il est donc temps que la BEAC engage des initiatives pour promouvoir la progression adéquate du ratio des crédits à l’économie sur le produit intérieur brut (PIB), indicateur d’essor du secteur financier établi à 16, 4 % en 2021, contre 28,5 % dans l’UEMOA, 27,7 % pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne et 32,2 % pour les pays les moins avancés de l’ONU. Pour sa part, le taux de bancarisation stagne à 15 % alors qu’en 2011 la BEAC projetait de le porter à 20 % en 2016. L’indisponibilité de données actualisées sur ce taux dans la CEMAC confirme l’insuffisante attention y relative des institutions concernées.

Depuis la restructuration des banques du début des années 90 qui avait conduit à la surliquidité du système bancaire de la CEMAC grâce entre autres par le transfert sur les Etats des créances bancaires non performantes, l’inertie globale de la BEAC au regard de la quasi-stagnation du secteur financier n’est plus admissible. En partant de l’expériences d’autres banques centrales en la matière, elle devrait pouvoir proposer en concertation étroite avec toutes les parties prenantes (système bancaire ; Banque de développement des Etats de l’Afrique Centrale, BDEAC ; autres institutions financières ; organisations patronales ; associations de défense des usagers bancaires ; experts juridiques, comptables et financiers, etc.) des moyens capables de favoriser la distribution durable et plus importante de crédits, et donc soutenir la création d’emplois.

Accélérer la mise en œuvre de l’inclusion financière

Si la BEAC refinance déjà partiellement la BDEAC principalement orientée vers le secteur public et les grandes entreprises, elle devrait entre autres, à l’instar notamment de la Banque Al Maghrib (la banque centrale marocaine), examiner la faisabilité d’un mécanisme de refinancement et d’un fonds de soutien financier aux PME et aux start-ups, l’installation de comités locaux de promotion des PME, en s’appuyant sur ses agences dans les différents pays membres.
La réalisation accélérée de la stratégie régionale d’inclusion financière adoptée en décembre 2023 après une longue gestation initiée depuis près d’une décennie, devrait aussi permettre de prendre le bon chemin. Pour ce faire, la BEAC devrait être plus proactive auprès des Etats qui sont les principaux acteurs de cette action. Dans ce domaine, l’installation et la vulgarisation rapide de certaines composantes de l’infrastructure financière (centrale des bilans, bureau d’information financière ou crédit bureau, etc.) faciliteront la réduction de l’asymétrie d’information et l’expansion du crédit bancaire ainsi que la contraction du coût des prêts.

L’amélioration par la COBAC du cadre réglementaire de l’activité des banques, notamment pour la lutte contre la corruption des agents des établissements de crédit et de microfinance, ainsi que l’indépendance effective du superviseur bancaire, la COBAC, contribuerait en outre à élargir l’accès au crédit et à diminuer son coût, en réduisant notamment les crédits douteux. Une plus grande diversité régionale et du genre parmi les dirigeants et le personnel des banques participe aussi à une distribution transparente, équitable, plus productive et moins risquée des crédits. Face aux discriminations diverses dans l’octroi des crédits et aux inégalités sociales, les dirigeants de la BEAC devraient s’inspirer des banques centrales américaine, anglaise, canadienne et européenne qui ont récemment engagé des réflexions pour aboutir à des solutions possibles dans ce domaine.

Une gouvernance axée sur l’amélioration du bien-être global

En 2025, le FMI prévoit une croissance du PIB de 6,3 % dans l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA) et 2,4 % dans la CEMAC. Celle-ci continue d’être confrontée à des forts et persistants taux de pauvreté, résultant de l’insuffisance de la croissance économique, du manque d’opportunités d’emploi et de la rapidité de l’expansion démographique. En 2023, selon la Banque Mondiale, environ 31,1 % de la population de la sous-région vivait avec moins de 2,15 USD par jour. Dans l’UEMOA, cette proportion était relativement plus faible, à 23,4 % en 2023.
Pour faire reculer durablement la pauvreté, s’abstenir d’intervenir dans le développement prudent mais résolu du secteur financier et des solutions stimulant la croissance économique n’est pas tenable. Il convient par conséquent de tirer les bonnes leçons des faillites des banques nationales de développement et des performances mitigées de la BDEAC dans lesquelles la banque centrale sous-régionale était ou est encore actionnaire. Ces échecs provenaient notamment des nombreuses défaillances institutionnelles (dirigeants politiquement et ethniquement exposés et/ou engagés, corruption, dépendance vis-à-vis des Etats, etc.).

La BEAC, avec une gouvernance révisée et plus dynamique, devrait faciliter la réalisation de cet objectif en mobilisant les ressources adéquates humaines et financières dont les sommes actuellement versées au titre des primes de bilan des dirigeants et membres des instances de décision. Récemment, les économistes Célestin Monga et Bruno Bekollo-Ebe ont chacun dans leurs ouvrages respectifs (African central banks and the challenges of economic transformation. African center for economic transformation.2025 et Le paradoxe des bons résultats de la BEAC. Avril 2025) plaidé pour l’adoption d’une telle démarche. Seule une approche inclusive et holistique favoriserait la captation de toutes les potentialités disponibles dans la CEMAC et la mise en œuvre idoine de politiques économiques et monétaires assurant le bien-être global. En cette ère de digitalisation également proclamée par la BEAC, entre la construction de nouvelles agences à la rentabilité économique et financière incertaine, et le soutien aux initiatives impulsant l’expansion du crédit aux économies de la CEMAC, il ne devrait pas y avoir d’hésitation.

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