Travaux du conseil des ministres en prélude à la 26e session ordinaire de la conférence des chefs d’Etat de la CEEAC – Archives -Tchad diplomatie

Afrique centrale : une communauté de destins encore en chantier

Alors que les dirigeants de la Communauté Économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) se réunissent à Malabo ce 7 juin, les ambitions d’intégration régionale se heurtent aux dures réalités politiques, sécuritaires et diplomatiques d’une sous-région encore profondément fragmentée.

Travaux du conseil des ministres en prélude à la 26e session ordinaire de la conférence des chefs d’Etat de la CEEAC – Archives -Tchad diplomatie

La capitale équato-guinéenne accueille la 26e session ordinaire de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la CEEAC. Un rendez-vous placé sous un thème évocateur : « Consolider les acquis de la réforme de la CEEAC pour accélérer l’intégration régionale et la construction d’une communauté des destins en Afrique Centrale. » Mais au-delà du discours d’unité, les divergences entre États membres freinent toute avancée significative vers une intégration réelle.

Communiqué de la CEEAC relatif à la tenue du sommet à Malabo

Travaux préparatoires riches et sous tension

Les assises ministérielles tenues en amont, du 5 au 6 juin, ont rassemblé les ministres des Affaires étrangères autour de dossiers majeurs : situation politique et sécuritaire en Afrique centrale, adoption de rapports techniques, renouvellement des membres de la Commission, et préparation du communiqué final. Autant de points cruciaux censés ouvrir la voie à des décisions des Chefs d’État.

Un enjeu central domine cependant les coulisses ; la désignation du pays devant assurer la prochaine présidence tournante de la CEEAC. Le processus est plombé par le conflit latent entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda. Kinshasa, en guerre contre les groupes armés opérant à l’Est de son territoire, accuse Kigali de soutien indirect aux rebelles et s’oppose farouchement à ce que le Rwanda prenne la présidence de l’organisation arguant du rôle déstabilisateur de Kigali dans ladite crise sécuritaire. Ce différend géopolitique cristallise les divisions et met en lumière les failles du consensus communautaire qui fragilisent l’unité.

Travaux du conseil des ministres en prélude à la réunion des Chefs d’Etat

Bilan en demi-teinte de l’intégration régionale

La CEEAC a connu quelques avancées sur le plan institutionnel depuis sa réforme entamée en 2019, notamment une meilleure structuration de sa Commission et une rationalisation partielle de ses fonctions politiques et sécuritaires. De même, le renforcement de la diplomatie préventive et les efforts d’harmonisation des politiques de sécurité ont contribué à une meilleure coordination régionale, notamment face aux menaces terroristes au Sahel et dans le bassin du lac Tchad.

Toutefois, ces progrès restent minés par un déficit de volonté politique et de coopération effective entre États.

Le projet de fusion ou de rationalisation entre la CEEAC et la CEMAC, censé éviter les doublons et créer un espace économique puissant et cohérent, reste au point mort. Résultat, deux institutions coexistent en Afrique centrale sans réelle synergie, avec des mandats qui se chevauchent et un gaspillage de ressources qui affaiblit toute vision d’unité. Le tout motivé par des intérêts individuels de quelques Etats, pour qui, à tort ou à raison, la situation serait bénéfique

Le paradoxe équato-guinéen

L’un des paradoxes les plus frappants du sommet de Malabo reste sans doute le choix de la Guinée équatoriale comme pays hôte. Membre à part entière de la CEEAC, le pays continue pourtant de bloquer la mise en œuvre de la libre circulation des personnes et des biens, l’un des piliers de l’intégration régionale.

Il y a quelques semaines encore, Malabo a expulsé plusieurs dizaines de ressortissants camerounais du territoire équato-guinéen sous des motifs peu clairs, voire fallacieux. Un type d’actions unilatérales qui met à mal les principes mêmes de la communauté.

Communauté des destins à construire

À l’heure où d’autres blocs régionaux africains comme la CEDEAO ou la SADC progressent dans l’harmonisation de leurs politiques économiques, monétaires et sécuritaires, l’Afrique centrale semble toujours enfermée dans une logique de souverainetés jalouses, de rivalités régionales et de décisions à géométrie variable.

Construire une communauté des destins suppose bien plus que des sommets et des déclarations. La construction d’une communauté de destins tel qu’évoquée dans le thème des travaux, exige des actes forts comme l’ouvrir les frontières, l’harmonisation les politiques, le renforcement de la solidarité régionale et le dépassement des intérêts nationaux au nom du bien communautaire.

Tant que les États membres agiront en ordre dispersé, la CEEAC restera ce qu’elle est et rien d’autre ; une communauté toujours en chantier, loin de la vision intégrée qu’elle proclame. La rencontre de Malabo qui se tient en amont d’un autre sommet conjoint CEEAC-CEMAC annoncé au mois de juillet 2025, pourrait pourtant être cette occasion d’un sursaut diplomatique. Par simple volonté, les Chefs d’État peuvent décider de regarder en face, les contradictions qui minent leur projet.

Par Yves Modeste Ngue

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